Le régime foncier traditionnel favorise les vieux

Le Melk: un régime foncier issu du droit musulman qui protège (indirectement) les personnes âgées marocaines

Deux systèmes fonciers coexistent au Maroc : D’un côté, le droit moderne instauré à partir de 1913 utilisant un livre foncier, semblable au système français. Il est facultatif. De l’autre, le droit musulman avec des pratiques foncières ancestrales, authentifiés par des actes adulaires dont le plus répandu s’appelle melk.

85.2% des ménages à la campagne sont propriétaires de leur habitation, contre seulement 52.1% en ville . Cet espace rural est largement structuré par le statut juridique traditionnel. On estime que plus que 90% propriétaires en secteur rural bénéficient d’un titre appelé melk. Par ailleurs, 7 millions d’hectares ou 76% de la surface agricole utile (SAU) appartiennent à ce régime traditionnel.
Le melk établit le droit de propriété via un acte adulaire écrit, mais manque de précision quant aux limites exactes des parcelles et quant aux droits des tiers. En pratique, le droit prétendu existe jusqu’à preuve du contraire. C’est seulement lors du passage vers le statut moderne qu’un géomètre intervient afin de soumettre le bien à un métrage précis. Ensuite, différentes publicités foncières purgent les droits de tiers. Au bout de ce procédé appelé titrage, la propriété devient définitive et inattaquable.

Le système des melks défend les personnes âgées contre la spéculation immobilière en rendant les investissements institutionnels à la campagne extrêmement difficile

L’opacité concernant ces biens non-titrés rend leurs transactions incertaines, l’accès au crédit difficile et les investissements les mettant en valeur aléatoires.

Ce flou a bien évidemment empêché l’essor d’une agriculture moderne avec remembrements, sociétés d’aménagements, constitution d’unités industrielles et investissements par des gros propriétaires terriens. En effet, il est impensable qu’une multinationale investisse dans l’acquisition de quelques milliers d’hectares de terres dont le statut juridique serait douteux. Posant problème au niveau économique car réduisant fortement la productivité des terres agricoles, ce retard bénéficie largement aux petits propriétaires qui ont pu garder leur ferme autarcique ainsi que leur habitation.
Le boom immobilier atteignant les campagnes, la valeur des terres et de l’habitat typique (fermes, agadirs, kasbahs) a été démultipliée depuis 2000. Ne pas avoir vendu ce patrimoine a ainsi permis d’agrandir très fortement sa valeur.

Le système foncier traditionnel aide à fixer les personnes âgées sur l’exploitation agricole et empêche la paupérisation urbaine

Sur le continent africain, l’urbanisation excessive constitue une des tendances majeures. L’impact négatif de cette migration sur les conditions de vie des personnes âgées a été souligné dès 1982 par les délégations africaines aux Assemblés Mondiales sur le Vieillissement : obligation de suivre les enfants dans des cadres urbains non-adaptés ou abandon à la campagne avec comme seule ressource celle que leur terre .

Les derniers recensements d HCP détaillent l’état de l’urbanisation marocaine et l’impact sur ses chibanis : grâce à leur statut de propriétaire, et grâce aux barrières érigées par les actes adulaires, le phénomène est nettement moins dramatique que dans les autres états africains – les vieux restent fièrement et utilement à la campagne.

Ils travaillent la terre, et même sous de conditions rudimentaires et loin d’une agriculture mécanisée, ce travail reflète un respect ancestral envers celle-ci, apporte des avantages en nature et même de petits revenus. Les obligations des saisons et du cheptel rythment leur vie, l’exercice permanent maintien les personnes âgées en forme. Les propriétaires qui ne peuvent plus travailler eux-mêmes les terres, les donnent en fermage, perçoivent un loyer, mais restent le plus souvent sur la propriété, soignés et respectés.

Sources:

M’hassni, Feljy, Khalali : Le système foncier au Maroc. Une sécurité et un facteur de développement durable. Marrakech, décembre 2003

World Assembly on Ageing, Vienne, 26 juillet au 6 août 1982.

David Seddon, Moroccan peasants, Kent (GB) 1981

Schaeffer Fanny : Mythe du retour et réalité de l’entre-deux. La retraite en France, ou au Maroc ?”. Revue Européenne des Migrations Internationales, 2001.